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La langue des oiseaux par Aifelle (le goût des livres)

lundi 1er septembre 2014, par webmestre

"Elle, Kat-Epadô, n’avait jamais entendu parler d’Emily Dickinson. De Bashô, si. De Ryokan aussi dont elle m’apprendra plus tard à prononcer le "R" initial comme une sorte de "L", les deux lettres confondues en une sonorité unique. En fait, elle lisait peu. Elle ne lisait pas. Elle passait facilement pour une fille d’aujourd’hui, de la nouvelle civilisation, captivée par les fringues, vendeuse de vintage sur eBay, spécialiste de la marque japonaise Comme des Garçons, une sorte de groupie de l’astre Rei Kawakubo. Pourtant, dans la décharge planétaire d’eBay, elle irradiait d’émotion, de singularité, de grâce, mais personne ne prêtait attention à ses étranges petites phrases, tous scotchés par les vêtements qu’elle présentait, n’en ayant rien à faire des textes qui les accompagnaient pour les décrire".

Découvrir le nouveau roman d’un auteur que l’on aime est à la fois plaisir anticipé et légère appréhension. L’aimerais-je autant que les autres ? La réponse est oui, sans hésitation, même s’il s’y mêle une petite réserve, vite balayée par le reste.

Claudie Hunzinger c’est d’abord une écriture, un univers, l’importance de la nature, des livres, des rencontres, éléments que l’on retrouve dans cette histoire là. La narratrice ZsaZsa, quitte Paris après la parution d’un premier roman, elle s’éloigne de son amant et se réfugie dans une curieuse baraque au coeur de la forêt des Vosges. L’objectif avoué est de commencer un deuxième roman, d’apprendre le chinois et la langue des oiseaux, déjà abordés avec son père dans sa jeunesse. Elle a emmené son ordinateur et surfe la nuit sur eBay où elle tombe par hasard sur l’annonce d’une mystérieuse Japonaise qui vend des vêtements Comme des Garçons. Elle est aussitôt attirée par cette jeune femme qui rédige ses annonces comme des poèmes, dans l’indifférence générale.

J’ai apprécié de découvrir le roman sans rien en savoir ou presque, je ne vais donc pas vous en dire beaucoup plus, à chacun de se laisser emporter par son imagination ou plutôt par celle de l’auteur et de la suivre dans le lent cheminement de sa relation avec Kat-Epadô, pseudonyme de Sayo. Il est de toute façon, difficile de le résumer, ce serait trop le réduire.

Sachez seulement que les deux femmes, passé une première phase virtuelle, se rencontreront dans la réalité, jouant une partition où il est difficile de définir qui manipule qui ? Szasza n’est pas dupe de son désir de faire de Sayo le personnage de son futur roman, lui prenant tout ce qu’elle peut à l’instinct, sans trop réfléchir. Et Sayo de son côté mène Szasza sur de drôles de chemins en préservant un mystère parfois épais. Est-elle toujours sincère ?

Ce qui m’a séduite de prime abord dans cette histoire, ce sont les textes de Kat-Epadô, dont j’attendais impatiemment le retour, ces mêmes textes qui ont accroché Szasza, et les vêtements de Reï Kawakubo m’ont toujours paru le comble de l’élégance et du raffinement, simples et pratiques, d’une rigoureuse sobriété, en fait très élaborés.

"CdG T-shirt à deux bosses
Il est en tulle de polyester blanc.
Il a deux enveloppes sur le dos qui peuvent contenir deux bosses tricotées en gros fil de coton blanc et brillant.
Ces bosses sur le dos sont exactement le contraire de seins.
Ce sont des bourgeons d’ailes bourrés de duvet d’oie ^^ !
Si l’on porte le T-shirt sans les bosses, il en reste néanmoins des traces sur le dos comme si on avait eu des ailes autrefois.
Ou qui vont repousser si on vous les a coupées.
Qui repoussent toujours."

Si vous avez déjà lu l’auteur, vous savez à quel point elle excelle dans la description de la nature, abordée sous tous ses aspects, aussi bien les bénéfiques que les plus sombres. Y vivre seule jour et nuit n’est pas idéalisé, il y a la peur et l’angoisse parfois, les dangers rôdent. Compensés par l’observation des oiseaux, de leur chant, les longues marches en forêt, les rencontres insolites et toujours l’évocation des livres, fidèles compagnons, leur importance dans la vie. J’ai d’ailleurs aimé l’espace d’un instant, le clin d’oeil aux libraires de "La survivance" son roman précédent.

Mais le ressort principal tient à la relation entre les deux femmes, d’où ma légère réserve sur la partie de l’histoire japonaise de Sayo ; je l’ai trouvée moins forte que le reste du roman, moins crédible, même si je ne déteste pas que certains mystères ne soient pas levés à la fin d’un livre et que toutes les clefs ne soient pas données au lecteur.

En résumé, une histoire étrange et captivante, une écriture poétique, imaginative, précise, tout en étant ancrée dans la réalité la plus terre-à-terre, une lecture à ne pas laisser passer dans cette rentrée pléthorique.

Je ne résiste pas à vous citer un dernier extrait qui m’a touchée, les plus anciennes comprendront (nostalgie .. nostalgie ..)

"Et dix ans plus tard encore, à propos de ce même Jacques Brosse qui avait eu le grand prix de littérature de l’Académie Française pour l’ensemble de son oeuvre, celle d’un naturaliste et d’un spécialiste des religions, et dont L’inventaire des sens, un livre resplendissant, avait été publié dans la maison où je venais de l’être également - plus tard, donc (c’était l’automne dernier), je m’étais aperçue, comme je parlais de lui, que plus personne ne savait qui il était dans cette maison. Du rez-de-chaussée au deuxième étage, de bureau en bureau, non, plus personne ne savait qui était Jacques Brosse. Et même son livre avait disparu. Une histoire à méditer ? Une histoire sans réponse ? Un koân ?

Le site de Claudie Hunzinger, où l’on voit que le fil est ténu entre fiction et réalité.

Merci à l’auteur.

Claudie Hunzinger - La langue des oiseaux - 261 pages
Editions Grasset - 27 Août 2014