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La Croix - Les grands cerfs ou l’observation des invisibles
mercredi 9 octobre 2019, par
Dans Les grands cerfs, une femme se prend de passion pour les cerfs dont elle partage le territoire, avant de découvrir une réalité bien sombre. Un texte sensible de Claudie Hunzinger.
Où se cache la nature sur une planète entièrement colonisée par les humains ? Où se terrent les animaux sauvages dans notre pays partagé entre villes toujours plus étendues et agriculture agressive qui tue ses sols à coups d’intrants chimiques ? Pamina a la réponse : chez elle, aux Hautes-Huttes en lisière de forêt, l’une des plus hautes fermes de sa vallée des Vosges. À 25 ans, bien avant de commencer à voir leurs corps se voûter et devenir plus secs, Nils, son compagnon, et Pamina ont acheté cette métairie du XVIIIe siècle, « une façon juvénile, anarchiste, de bondir hors du cercle des adultes » et « une décision poétique ». Même si 30 % des oiseaux ont disparu de nos ciels en quelques décennies, elle observe rouges-gorges, pinsons du Nord, bouvreuils, mésanges bleues, noires, charbonnières ou huppées au gré de ses balades ou lorsque, au creux de l’hiver, ils viennent se disputer dans un tourbillon de couleurs les graines de tournesol dont elle remplit leurs mangeoires.
Invisibles pour leur survie
Si elle ne les voit pas, elle sait tout proches, sur ses terres, les cerfs, invisibles pour leur survie. Pour seuls indices de leur présence, quelques craquements légers à leur passage, l’herbe froissée ou la neige fondue là où ils se sont posés.
L’équilibre délicat de la forêt française
Un jour d’automne, au retour de Paris via la gare de Colmar, en remontant aux Hautes-Huttes, dans ses phares « un tonnerre de beauté a traversé le chemin d’un bond, pattes rassemblées, tête et cou rejetés en arrière, ramure touchant le dos, proue du poitrail fendant la nuit ». Léo, qui photographie exclusivement les cerfs, les baptise – Wow, Pâris, Merlin, Appolon –, les distinguant à une balafre, une nuance de pelage, une oreille déchirée, une forme de museau ou de ramure.
Une patiente observation
Avec une passion contagieuse, Pamina, l’alter ego de Claudie Hunzinger, nous entraîne dans sa découverte des cervidés dont le territoire se superpose au sien, le souffle coupé par la splendeur de ces animaux. Elle apprend les dix ou douze cors, la perte annuelle des bois et des velours, la repousse à raison d’un centimètre par nuit, la vie du clan dont elle partage le royaume. De sa patiente observation jaillissent des personnages à part entière, les cerfs les plus charismatiques.
Mais une autre réalité, terriblement humaine surgit dans ce roman bouleversant. L’Office national des forêts estime que les cerfs empêchent la forêt de se régénérer, et distribue des bracelets à la Fédération des chasseurs pour autant de bêtes à tuer. Alors que l’Allemagne a choisi d’éradiquer les cerfs pour des raisons productivistes, Claudie Hunzinger saisit d’une plume moelleuse et vive un moment de bascule.
Corinne Renou-Nativel