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La langue des oiseaux, ou l’éclat poétique surgi d’eBay par Anne Brigaudeau (Culturebox / France Télévisions)
mercredi 17 septembre 2014, par
Une romancière quitte Paris pour vivre un an en montagne, coupée de tout. Coupée de tout, vraiment ? Dès le premier soir, elle noue contact, via une étrange annonce sur eBay, avec une Japonaise exilée en France. Le début d’une amitié hors du commun. Claudie Hunzinger entremêle un chant d’amour à une nature en voie d’extinction, et une correspondance qui dévoilera une vie.
Pourquoi Zsa-Zsa - la narratrice - fuit-elle Paris pour vivre une année en ermite "sur le versant sombre, pauvre et profond des Vosges" ? Pour échapper à une "impasse". Ouvrir "une parenthèse". Retrouver les arbres, le ciel, l’essentiel, tout en restant reliée au monde via une connection Internet.
Par hasard, l’héroïne tombe sur une surprenante annonce pour un vêtement de la marque japonaise "Comme Des Garçons". Une annonce qui n’est pas simple description du vêtement, mais morceau de vie. Une robe à l’image de celle qui la porte ? "C’est une pauvre robe étroite et maigre avec des trous. Elle a un trou sur le col à droite. Un sous le col à gauche. Un vers les genoux (réparé par moi (...) Même vers les hanches, elle reste droite. Son charme c’est la sévérité" .
L’amour des livres et le culte d’Emily D.
De sa baraque isolée en montagne, "un de ces abris en bois, 6 m X 6m, dessiné par Jean Prouvé pour les sinistrès des bombardements de 1945, en Lorraine", l’écrivain noue ainsi connaissance, par mail, avec Kat-Epadô. Une Japonaise exilée en France qui lui raconte, par bribes, son existence et son énigmatique désespérance. Elle y ajoute de bizarres fautes de français, qui font souvent sens.
Le cercle des fidèles lecteurs (trices) de Claudie Hunzinger retrouvera dans son troisième roman ses thèmes favoris. L’amour des Vosges, moyenne montagne et sombres forêts de sapins. L’amour des livres et le culte de la poétesse Emily Dickinson (1830-1886) , qui vaut désormais mot de passe entre quelques-uns des meilleurs écrivains français d’Hubert Haddad à Lola Lafon.
Comme dans "La survivance", son précédent livre, Claudie Hunzinger inscrit celui-ci dans l’après-désastre écologique. Il ne reste qu’à contempler, comme un coucher de soleil avant la nuit, les dernières splendeurs d’une forêt. Ou tendre l’oreille pour saisir le chant du bouvreuil ("diu, diu, diu").
Un éclat de poésie dans "le grand Vrac du consumérisme"
Mais la romancière fait surgir, tout aussi finement, des étincelles poétiques de "la décharge planétaire d’eBay", "grand Vrac du consumérisme". Elle imagine de superbes textes-annonces trahissant des fragments de vie. Des émotions livrées via une robe, un châle, une étoffe, un manteau réversible, comme autant de petits cailloux lâchés par un(e) Petite Poucette japonaise ayant quitté les siens.
Ce fil conducteur fait toute la saveur de ce beau roman, description d’une cavale, d’une fuite, et de retrouvailles. Retrouvailles avec quoi ? La littérature, une nature enveloppante, la magie d’un lien inattendu. Dans une langue où résonnent les labyrinthes de Kafka et les quatrains d’Emily D., reste un chant d’amour pour ce qui s’éteint sous nos yeux, et le nom des oiseaux.
La langue des oiseaux de Claudie Hunziger (Grasset) 270 pages - 18,00 €
Extrait :
Dans la décharge planétaire d’Ebay, elle irradiait d’émotion, de singularité, de grâce, mais personne ne prêtait attention à ses étranges petites phrases, tous scotchés par les vêtements qu’elle présentait, n’en ayant rien à faire des textes qui les acoompagnaient pour les décrire.