site de Claudie HUNZINGER, artiste plasticienne et romancière.

Accueil > Romans et livres d’artiste > 2012 : La Survivance, Grasset > Vivre là-haut (Républicain Lorrain)

Vivre là-haut (Républicain Lorrain)

mercredi 14 novembre 2012, par webmestre

http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2012/11/11/vivre-la-haut

Des vauriens. C’est ainsi que Jenny et Sils se définissent. Et quand ils se regardent l’un l’autre, c’est avec une infinie tendresse. Vauriens, ils l’étaient déjà quand ils se sont connus, au lycée. Elle avait dix-sept ans et lui « l’insolence sous la langue, la rébellion dans le sang ». C’est d’ailleurs lui qui l’avait surnommée Jenny, comme la fiancée du pirate chère à Brecht. Des taugenichts donc, des vrais, et rien ne s’était arrangé avec le temps, pas même le cap de la soixantaine passé. Jusque-là, Jenny et Sils avaient vécu « façonnés de rêves et de lectures », dans leur librairie sauvage, en bordure d’un village alsacien.
Et voici que l’époque les rattrapait. Menace d’expulsion. « Les temps nous demandaient de nous montrer dynamiques, électroniques, immédiats et vifs, hypermodernes, ne sachant même plus ce qu’était un roman. » Un rythme impossible à suivre. Alors le radeau coule, les deux complices n’ont nulle part où aller.
Nulle part, sinon une ruine qui leur appartient, La Survivance, à près de mille mètres d’altitude, dans la montagne vosgienne. Ni eau, ni électricité, un trou béant dans la toiture, tout juste un vieux poêle pour se chauffer. Alors Jenny et Sils prennent congé du monde, chargent dans des caisses leurs auteurs favoris, Hemingway, Bradbury, Ungerer, Francis Ponge et tous les autres, « nos amis de tous les temps et de tous les pays, nos longues connaissances aux longues conversations ». Et les voilà partis pour une aventure rude, chargée de mystères. Avec eux Betty, petite chienne blonde aux yeux noirs, et Avanie, l’ânesse grise et sage, dont les longues oreilles « captaient au loin les présages ». Avanie, l’un des plus attachants personnages du récit. Là-haut, ils vont installer leur vieux canapé rouge au milieu du foin, monter des murs de livres, s’installer « à la guerre comme à la guerre » et observer, apprendre, lire, s’échiner contre les herbes, apprendre l’eau, la chaleur, le froid, les nuits piquées de bruits insolites, les saisons changeantes. Lui cherchera à retrouver le secret des pigments utilisés par Grünewald pour peindre son retable d’Issenheim – Colmar est en bas, dans la plaine. Elle apprendra avec patience et passion la noblesse des cerfs, aux « gueules de grands chefs indiens reliés aux galaxies ». Jenny s’inquiète un jour : « Pourquoi est-ce qu’on vit, Sils ? » Et le vieux renard de glisser : « Mais parce que ça nous fait rire encore. »
Ode aux livres et à la nature, formidable manifeste de résistance face à l’incurie d’une époque gouvernée par la violence et l’impatience, La survivance résonne aussi comme une métaphore amère. Celle d’un monde « fatigué à mort » qui condamne à l’exil les rêveurs, les passeurs d’imaginaire. Claudie Hunzinger propose là un roman insolite, inspiré. Et le magnifique couple Jenny et Sils qu’elle met en scène pourrait cheminer longtemps dans les souvenirs d’un lecteur conquis.

La Survivance, par Claudie Hunzinger (Grasset).

Michel GENSON

http://www.republicain-lorrain.fr/actualite/2012/11/11/vivre-la-haut